Vanyfox est de ceux dont on observe actuellement la tranquille éclosion, tout en sachant pertinament l’avenir radieux qui lui est promis d’ici peu. Lors de notre rencontre, Paulo Alexandre alias Vanyfox s’apprête à quitter Reims, où il est maintenant installé depuis 2014, pour rejoindre la capitale portugaise durant tout l’été : « À Lisbonne, je vais retrouver Adamm, Denycox, Shaka Lion et Branko aussi. Parce qu’en fait le 10 juillet j’ai un petit mix à faire avec Enchufada pour la sortie de la nouvelle compilation du label ». Humble et reconnaissant, le producteur luso-angolais sait qu’il n’est pas donné à tout le monde de bénéficier d’un coup de projecteur de la part d’un cador comme Branko, surtout lorsque l’on est seulement âgé de vingt-ans.
« J’ai sorti un morceau cette année qui s’appelle « Paris », ça fait un peu plus d’un mois je crois, il était un peu « Kaytranada vibes ». Et voilà, c’est à partir de là qu’il (Branko, ndlr) m’a expliqué qu’il allait faire une deuxième partie de sa compilation, Enchufada Na Zona. Il m’a dit qu’il aimerait bien que je sois sur l’album, se rémémore Vanyfox avec enthousiasme de ce souvenir pas si lointain avant de rajouter : « Je m’y attendais pas du tout, j’étais dans ma chambre au calme. Ah c’était trop bien ! ». Et si son jeune âge laisse penser que sa carrière en est à ses balbutiements, ce serait passé sous silence toutes ces années depuis lesquelles l’autodidacte précoce inonde Soundcloud avec ses bangers obsédants et hautement percussifs. Retour sur l’itinéraire de ce véritable mélomane à la force tranquille qui apporte une nouvelle pulsation à la batida.
L’art de la débrouille
À l’instar de ses illustres prédécesseurs qui ont façonné le son indomptable des ghettos lisboètes, tels que DJ Nigga Fox et DJ Nervoso, Vanyfox raconte comment lui aussi s’est fait piquer par le virus batida, en découvrant un nouveau monde qui s’ouvrait à lui grâce à Fruity Loops : « C’est à cause de mon frère que j’ai commencé à faire des instrus. On avait qu’un seul ordinateur à la maison et en fait il a installé FL Studio. (…) À l’époque c’était FL Studio 7 ou 8, et puis l’ordinateur s’est cassé, du coup j’ai été obligé d’en acheter un autre, j’ai installé FL Studio dessus. Et c’est en 2011-2012 que j’ai commencé à faire des prods, j’avais 12 ans ». Très tôt, Vanyfox sait ce qu’il veut et se laisse guider par son amour inconditionnel de la musique pour progresser. « J’ai appris tout seul, c’était pas facile » lâche-t-il modestement. Mais celui qui peut rester « cinq, six, sept heures à faire des instrus », apprivoise rapidement le logiciel et réalise ses premières tracks à force de persévérance et avec les moyens du bord.
À cette même époque, il déménage à Odivelas, une ville de la banlieue de Lisbonne desservie par la fameuse ligne de Sintra, et commence à fréquenter des DJ’s de ce même quartier. Il côtoie plus particulièrement Denycox et DJ Adamm, avant même que ce dernier ne devienne le DJ et beatmaker que l’on connait aujourd’hui. « C’était juste un mec normal » se souvient Vanyfox de celui qu’il considère désormais comme son « best friend » aux côtés des tout aussi excellents DJ Lycox et DJ Danifox. Ensemble, ils échangent sur la musique qu’ils aiment et assemblent leurs premières productions de « kuduro do guetto « , chacun nourissant l’autre en fonction de son bagage musical.
Malheuresement en 2014, Vanyfox est contraint de laisser cette vie derrière lui. Il a treize ans lorsque lui et sa mère s’envolent pour la France et posent leurs valises dans la ville champenoise de Reims. Le jeune adolescent qu’il est alors ne parle pas un mot de français et son intégration n’est pas des plus facile. Mais qu’importe, Vanyfox est optimiste, passe outre ces débuts compliqués et continue son petit bonhomme de chemin dans la production. Quelques dizaines de bombes batida lâchées sur Soundcloud plus tard, il attire l’attention de Shaka Lion, célèbre DJ brésilien installé à Lisbonne, aux faux airs de Jésus Christ à rastas, et le prend sous son aile. Résident pour la très hype Soulection Radio, ce dernier place à de multiples reprises des tracks signées Vanyfox dans ses mixes suivis par des dizaines de milliers d’auditeurs à travers le monde. Il jouera notamment son fantastique remix 100% batida, parsemé de percussions africaines, de « Double Up » du regretté rappeur Nipsey Hussle, qui arrivera jusqu’aux oreilles de Sango, Joe Kay et Kaytranada, rien que ça.
« En fait, il m’a ouvert les portes de tout. Sango l’a joué. Qui d’autres ? Esta, Sam Gellaitry, plein de mecs de Soulection ont joué mon morceau. Je m’y attendais pas ! » s’exclame Vanyfox, toujours aussi reconnaissant de ce coup de pouce apporté de la part de son « frère« . « Si je suis connu aux États-Unis c’est grâce à lui ! »
Fidèle au ghetto
« La batida ça a été créé par nous, les fils d’immigrés, la deuxième génération, par les gens du quartier. C’était vraiment des gamins comme nous, qui avaient genre douze ans et qui créaient des batida, c’est dingue tu vois ! », rappelle Vanyfox avec entrain. S’il revient sur les origines de la batida, c’est que le producteur regrette quelques peu de voir dernièrement le genre se dénaturer, où du moins perdre de son africanité, lorsqu’il fricote maintenant avec les sphères de la musique « commerciale ». Cela peut parfois aboutir à de francs succès qu’il reconnait lui-même volontier. Comme le catalogue à la fois tout public et pointu du label Enchufada de Branko ou bien la superstar Deejay Telio, qui réussit l’exploit de rendre acceptable le son du ghetto pour la pop FM. Mais bien souvent cela amène à des mariages insipides.
« Il y a des gens qui ne parlent plus de ghetto, je pense que certaines personnes l’ont oublié. Mais le ghetto, c’est à cause de ça que les gens sont inspirés par les batidas agressives. Les mélodies agressives, les kicks hyper bruts, que ça ne soit pas masterisé, en fait c’est ça le ghetto ! » renchérit de plus belle Vanyfox. Sans aucune rancune envers ceux qui se l’approprie, il tempère son propos : « Si la musique oublie pas le ghetto, d’où elle vient, je pense que ça peut être bien ». Bien qu’il ait quitté cet environnement assez tôt lors de son exil vers la France, Vanyfox est toujours resté très connecté à cet univers qui irrigue son imaginaire foisonnant, et qui l’inspire plus que n’importe quel autre. « En fait je suis influencé par beaucoup d’artistes qui viennent de la batida. J’ai été influencé par Nigga Fox, Lilocox, Marfox, etc. Nous ça marche par génération, c’est dingue ! Et voilà c’est un truc normal, c’est arrivé calmement, c’était pas un truc forcé », raconte-t-il avec admiration pour les pionniers. Il en profite également pour ré-affirmer à ceux qui cherchent encore, qu’il n’y a aucune signification derrière ces célèbres sobriquets au suffixe commun : « c’est juste un nom pour la musique ».
Parmi ce méli-mélo foutraque de surnoms, Vanyfox démêle les liens et va jusqu’à révéler l’identité de celui qui a eu une importante capitale, non seulement pour lui, mais également pour bon nombre des jeunes producteurs issus de la nouvelle génération : « Edifox c’était l’influence de tout le monde, du kuduro, de la batida. Même pour moi, même pour Lycox. La personne qui a motivé Lycox pour faire ses prods, c’est Edifox ». Étonnament, il s’agit d’un nom très peu cité de la scène lisboète tant l’homme se fait discret.
Nouveau départ
Jusqu’à présent, Vanyfox a géré chaque évolution de sa carrière de manière totalement indépendante. De l’enregistrement à la masterisation de ses projets, en passant par le design de ses artworks jusqu’au booking de ses dates, il s’occupe de tout. « Je vais continuer encore par moi-même », nous confie-t-il. Mais les choses vont très probablement évoluer plus rapidement qu’il ne le pense avec la sortie prochaine de cette fameuse compilation chapeautée par Branko. « Maintenant, vu que j’ai des EP’s, une compil’ à venir, je travaille avec Shaka et tout, je me calme avec mes prods, celles que je faisais avant et je me concentre sur la compil’ que je fais avec Shaka et celle avec Branko. Parce que je vais peut être sortir un album sur Enchufada », révèle Vanyfox.
Son nouveau titre, « Summer Nights », qui apparaît sur Enchufada Na Zona Vol.2, capture à merveille l’atmosphère si particulière des nuits d’été. Pas étonnant que le label phare de Lisbonne lui ait mis le grapin dessus, tant il s’inscrit parfaitement dans la continuité de leur identité sonore. « Moi ce que je kiffe le plus, c’est faire des deep house (…) je sais pas … t’as une énergie, t’as juste envie de faire une musique deep, créer, enregistrer, en faire une autre », commente Vanyfox au sujet de ce morceau qu’il affectionne particulièrement, et sur lequel émerge une facette plus éthérée de sa palette musicale. Concernant son processus créatif, le beatmaker ne s’impose aucune règle, il suit son instinct, et comme il le répètera à plusieurs reprises lors de l’entretien, c’est un « artiste versatile ». « Il y a des jours je me dis : “je vais faire ça aujourd’hui”. Puis il y a des mélodies très sinistres qui me viennent, et alors je dis : “ok, ça je vais le jouer dans le club mais par contre je sais pas si je vais le mettre sur Soundcloud ». Méticuleux, Vanyfox sait l’effet qu’il veut provoquer et arrive à ses fins.
« Mon objectif c’est d’influencer aussi les gens pour faire quelque chose dans la vie. Il y a des gens qui ont peur de faire des choses, dans l’art, la musique, la danse, dans d’autres choses… Quand je fais de la musique, mon objectif c’est donner de l’inspiration aux gens à travers mes mélodies », telle est la mission que s’est donné Vanyfox. Mais pas de pression, le producteur au calme de tous les instants continuera à suivre son propre sillon comme il l’entend : « Toute mon inspiration découle naturellement. Genre, peut-être qu’en rentrant je vais faire une instru à cause de ça (suite à l’interview, ndlr), parce qu’on était dans l’ambiance, on a parlé, je vais penser à un thème et voilà (rires) ». On attend désormais avec impatience la sortie (éventuelle) de ce morceau !
Enchufada Na Zona Vol. 2, disponible le 10 juillet sur Bandcamp.
Photographies de Thibault Juillard